« C’est l’optimisme de la volonté qu’il nous faut »

La situation est grave ? Raison de plus pour nous tourner vers l’énergie créatrice, interpelle le philosophe Patrick Viveret. Selon lui, il existe deux formes de pouvoir : le pouvoir créateur, démultiplié par la coopération, et le pouvoir de la conquête et la domination. Pour affronter les menaces qui pèsent sur l’avenir, nous devons d’urgence choisir le premier, insiste-t-il dans une interview revigorante.

 

 

Quels pouvoirs pour entreprendre et transformer ? Cette vaste question sera débattue lors d’une table ronde qui se tiendra à Nantes le 31 mars prochain. Patrick Viveret y défendra l’idée que le pouvoir de l’amour vaut mieux que l’amour du pouvoir.

Entrepreneurs d’avenir – Vous réfléchissez depuis longtemps aux nouvelles formes de rapport au pouvoir. Comment définissez-vous le pouvoir ?

Patrick Viveret – C’est un mot qui a deux sens très différents. Il est d’abord un verbe auxiliaire écrit en lettres minuscules, qui n’a de sens qu’avec des compléments. Dans ce sens, il est une énergie créatrice démultipliée par la coopération. L’élu qui le détient assure un leadership de service, et c’est d’ailleurs le sens du mot « ministère ». Ce type de rapport au pouvoir se retrouve chez nombre d’élus locaux, qui sont au service des potentialités créatrices de la collectivité dont ils sont les mandataires.


Et quel est l’autre sens du mot « pouvoir » ?

Quand « pouvoir » se fait substantif, avec un P majuscule, il ne s’agit plus du tout d’un pouvoir de création : il se suffit à lui-même. Il signifie le pouvoir de conquête et de domination d’autrui, celui qui engendre la peur, peur des dominés face aux dominants, et peur des dominants entre eux. Car ce pouvoir qu’ils ont eu tant de mal à conquérir, ils craignent de se le faire reprendre.


Comment appliquez-vous cette définition à la situation politique actuelle ?

La lutte pour la présidence de la République relève de la quête du pouvoir de domination, bien sûr, avec ses effets pervers : ce pouvoir est perçu comme un abus de pouvoir, mais aussi, contradictoirement, comme une impuissance, notamment par rapport aux marchés financiers. Or la démocratie compétitive et délégative telle que nous la connaissons depuis des années s’épuise au point de générer des dirigeants dangereux comme Donald Trump. Quand elle se limite à l’élection, la démocratie aboutit à ce que Pierre Hassner appelle la « démocrature », c’est-à-dire un système autoritaire qui instrumentalise l’élection en jouant sur les peurs et les registres de la régression émotionnelle, sans considération pour le jugement des citoyens. Ce type de régime se termine très mal.
Vous appelez à passer du pouvoir conquête à l’énergie créatrice du pouvoir lié à l’amour. Pouvez-vous expliciter cette transformation ?

On ne peut être dans le pouvoir créateur qu’à condition d’aimer les gens et de se mettre à leur service. Nous avons donc besoin d’une démocratie réellement participative et collaborative, dans laquelle les citoyens se rassemblent pour poser des diagnostics partagés et bâtir une intelligence collective. À l’échelle planétaire, les deux formes de pouvoir doivent s’inverser, à l’instar du changement de posture d’un pilote de chasse devenu astronaute. Le pilote de chasse incarne à la perfection le pouvoir de la logique guerrière, mais quand il est astronaute et qu’il voit la Terre depuis l’espace, Thomas Fesquet peut en témoigner, il comprend deux choses : il s’émerveille devant la beauté de notre planète et il est frappé par son extrême fragilité. Mais cette fragilité est aussi anthropologique : si l’espèce dominante, l’homme, reste dans une logique de rivalités et de domination, cela conduira à la guerre et à la destruction de la planète. L’émerveillement, le rapport à la beauté et la conscience de la fragilité de l’espèce sont donc des éléments clés d’une géopolitique humaine.


Restez-vous optimiste ?

On peut porter un diagnostic très sombre sur l’époque, mais précisément parce que la situation est grave, il est d’autant plus urgent de se tourner vers l’énergie créatrice. Et là, c’est l’optimisme de la volonté qu’il nous faut. Ce qu’il faut bannir aujourd’hui, c’est le pessimisme confortable des gens bien installés et des puissants, qui pensent que tout va mal mais ne le vivent que de loin. J’aime bien la fameuse phrase de Romain Rolland, reprise par Gramsci : « Il faut allier le pessimisme de l’intelligence à l’optimisme de la volonté ».


Quelles expériences actuelles vous donnent de l’espoir ?

Tout ce qui relève du pouvoir créateur ! Le film Demain, les documentaires de Marie-Monique Robin, le livre Un million de révolutions tranquilles, de Bénédicte Magnier, relatent une multitude d’expériences qui témoignent d’une fabuleuse créativité entrepreneuriale, sociale, technologique partout dans le monde. Une fraction importante de la population est à fond dans l’énergie créatrice, et elle incarne une résistance aux logiques de guerre et de domination.

Texte Pascal de Rauglaudre

 

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