Osons la paix économique !

Dans son dernier ouvrage, le chercheur Dominique Steiler lance une stimulante réflexion sur la paix économique, alternative à la guerre économique dont le vocabulaire a trop longtemps imprégné la formation des managers.

 

 

Trop longtemps le langage de la formation des managers a été imprégné d’un vocabulaire guerrier : « Si vis pacem, para bellum – Si tu veux la paix, prépare la guerre. » Celle-ci apparaissait comme la seule voie possible vers la réussite finale de l’entreprise, l’objectif à atteindre par tous les moyens, y compris les moins éthiques.

Mais poussée dans sa logique la plus extrême, la guerre économique finit par perdre tout sens : « Le modèle consumériste est devenu toxique et destructif… emballé avec la financiarisation imposant sa logique de mondialisation », comme le rappelle avec à propos Bernard Stiegler. Les organisations et les individus qui les composent en paient le prix fort.

Cette situation a interpellé Dominique Steiler, enseignant chercheur et titulaire de la chaire Mindfulness, Bien-être au travail et Paix économique à l’École de management de Grenoble. Il s’est demandé pourquoi les mots « paix » et « économique » étaient si rarement accolés. Comme s’ils étaient antinomiques. Comme si les relations à l’intérieur des entreprises ne pouvaient que relever de l’art de la guerre.

Nature coopérative plutôt que potentiel agressif

Mais quel serait le sens de la « paix économique » dans un monde où toutes les activités sont déterminées par la performance et la finance et où la valeur travail perd tout sens ? L’entreprise ne peut-elle pas s’appuyer sur la nature coopérative de l’homme pour se développer, plutôt que sur son potentiel agressif ?

Dominique Steiler, ancien officier pilote de chasse de l’Aéronautique navale, décortique le contenu de la paix économique. Telle qu’il la conçoit, elle offrirait au travail un nouvel horizon, basé sur le partage et la mise au service d’autrui. Elle exigerait des collaborateurs exaltation, engagement, effort et détermination.

Pour la remporter, Dominique Steiler propose non sans audace de replacer l’homme au cœur des organisations et les entreprises au cœur de la cité. S’appuyant sur ses nombreux travaux de recherche avec les entreprises partenaires de la chaire, il esquisse des pistes concrètes inédites pour que l’économie et le travail retrouvent leur rôle premier : créer du bonheur pour la société dans son ensemble.

Dans cette optique, la « mindfulness », ou pleine conscience, peut aider l’entreprise à retrouver sa mission d’origine, à savoir « contribuer au bien commun, à la paix sociale et à la vie heureuse dans la cité ». Celles que Dominique Steiler a conseillé, parmi lesquelles Hewlett Packard, MMA, le groupe Araymond, soucieuses d’augmenter le bien-être de leurs salariés, l’ont intégrée à des degrés divers à leur politique de ressources humaines.

L’auteur cite le cas d’une PME dans laquelle les salariés ont tous participé à l’élaboration d’un nouveau système de rémunération. Exemple remarquable d’intelligence collective mise au service de la paix économique.

Éducation et spiritualité au service de la paix économique

En matière d’éducation, le constat de Dominique Steiler est sévère : tout le système social et éducatif est au service de l’activité économique. Mais là encore, il n’y a pas de fatalité : il imagine un modèle éducatif où les forces de production, les entreprises et les acteurs de l’économie seraient orientés vers la citoyenneté, les qualités personnelles et la solidarité, agissant pour le bien-être collectif et servant la cité.

Et pour encourager l’éducation à la paix, les approches ne manquent pas : communication non-violente, journalisme de solution, Servant leadership, entreprise libérée ou positive, psychologie positive, économie bouddhiste… Au futur leader, « il faut enseigner la vie et enseigner la joie », ne manque pas de rappeler l’auteur, en citant Robert Misrahi.

Enfin, la spiritualité, par la recherche de sens, la transcendance, la communauté et les valeurs humaines, a toute sa place dans l’entreprise. Plusieurs théories l’ont largement démontré, qu’il s’agisse des parties prenantes de Freeman, des parties engagées de Greenwood, voire même des grands exemples d’intelligence spirituelle de Mandela et de Gandhi.

Contribuer à la paix sociale et à un mieux vivre ensemble, tout en restant performant et durable : ce défi considérable qui se pose aux dirigeants d’entreprise ne peut donc se résoudre que par… la paix. « Si vis pacem, para… pacem – Si tu veux la paix, prépare… la paix », écrit Dominique Steiler, en conclusion de ce livre qui offre un point de vue unique et décapant sur le leadership et la responsabilité au 21e siècle, servi par une préface pleine de sagesse de Matthieu Ricard et un avant-propos stimulant de Patrick Viveret.


Osons la paix économique. De la pleine conscience au souci du bien commun
, de Dominique Steiler, préface de Matthieu Ricard, avant-propos de Patrick Viveret, Ed. De Boeck Supérieur, 2018, 352 p.


Pascal de Rauglaudre

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