La France des mille lieux : une invitation à renouer avec nos lieux et à les habiter autrement.

Dans La France des mille lieux, Damien Deville nous rappelle que les territoires ne sont pas seulement des espaces : ils nous façonnent et nous transforment. Un atlas poétique et sensible qui réveille notre conscience des lieux et des liens. Un beau cadeau à faire pour Noël.

 

Entrepreneurs d’avenir : Le livre dont vous êtes le coauteur : La France des mille lieux, aux éditions Ulmer, commence par une phrase qui donne le sens de cet ouvrage enthousiasmant : « On n’appartient pas à un lieu par décret. C’est le lieu qui nous habite et nous possède ». Qu’est-ce que nous dit cette phrase introductive sur votre intention ?

Damien Deville : L’appartenance est une notion clé de la géographie. Elle l’est tout autant dans nos démocraties. J’aime cette phrase de Kwamé N’Krumah : « Je ne suis pas africain parce que je suis né en Afrique, mais parce que l’Afrique est née en moi. »
Cette idée vaut pour chaque lieu : nous appartenons à un territoire non parce que trois générations y reposent au cimetière, mais parce que ce lieu façonne nos pas au quotidien.

Cela dit, l’appartenance n’est pas un chemin paisible. C’est un tiraillement permanent, une sorte de champ de bataille intérieur entre le territoire tel que nous le rêvons et tel qu’il est réellement, au point de nous donner, dans une pensée, l’envie de le porter, et dans la suivante, celle de le quitter. Appartenir, c’est chaque jour aimer, et chaque jour trahir.

Ce tiraillement, que je ressens aussi pour le petit pays où je vis avec ma famille, peut créer un malaise ; mais il est, au fond, profondément sain. Il ouvre un espace de dialogue sur notre relation à l’autre, permettant aux identités de se réouvrir enfin. La géographie joue ici un rôle essentiel : elle décentre notre regard sur les territoires pour replacer la relation au cœur de nos représentations et donc de nos perspectives.

 

Vous constatez que dans ce monde moderne qui nous déracine, nous perdons la conscience des lieux. Et c’est la source des crises sociales et écologiques. Comment cet Atlas de géographie culturelle, peut nous aider à retrouver cette conscience des lieux que nous habitons et des liens qui nous unissent aux autres et à l’espace ou nous vivons ?

Paul Valéry, poète de la Troisième République, disait que pour écrire, il fallait « entrer en soi armé jusqu’aux dents ». Je crois qu’il en va de même pour habiter pleinement un lieu : cela demande d’être armé, non pas de pistolets, mais de concepts, de clés de lecture, de notions géographiques. C’est l’ambition de ce livre : repeupler nos cartes, repeupler nos mondes, révéler ce qui a été voilé et qui demande tant à être dévoilé pour affronter les enjeux contemporains.

Ce livre porte aussi une autre ambition : cheminer ensemble vers les opportunités qui naissent de la relation à l’autre. Car, dans les territoires, la relation est une énergie : elle façonne des possibles, défixe ce qui semblait établi, et réouvre des horizons.

 

Cet atlas est d’une grande poésie, peuplé de cartes sensibles et d’illustrations fantastiques et oniriques. Comment avez-vous élaboré l’ouvrage avec vos co-auteurs qui sont illustratrices, plasticiennes et cartographe ?

On oublie souvent qu’un territoire, avant d’être une approche politique ou technique, renvoie d’abord à un corps en mouvement dans un lieu, et à tout ce que ce corps y ressent. Habiter, c’est marcher ! Dès lors, c’est une invitation à cultiver une alliance entre la science géographique et le sensible : les contes, la poésie, l’imaginaire. Je me suis ainsi tourné vers Perrin Remonté, Cassandre Lepicard et Julianne Sedan, toutes trois reconnu-es pour leur capacité à insuffler de l’onirisme aux éléments géographiques.

Certes, au Moyen Âge, la cartographie regorgeait déjà de symboles. On projetait en rêve, en images fantastiques, ce que l’on connaissait mal, à l’instar des monstres marins peuplant les mers et les océans. Cette pratique s’est érodée au fil de l’évolution de la géographie moderne, notamment sous prétexte que tout serait désormais connu. Mais au fond, qu’est-ce qui nous empêche de placer en rêve et en onirisme ce que nous connaissons déjà ? À cela, je réponds : rien ! Et je crois que nous en avons besoin pour mieux saisir les enjeux contemporains.

 

Cette lecture peut-elle nous aider à repenser et refaire le monde à partir du local ? Vous dites même : devenons des citoyens du local et des philosophes du global. N’est-ce pas aussi un Manifeste, un projet politique dans le vrai sens du terme ?

Ce livre met en mots et en cartes les réciprocités qui nous lient aux lieux : en habitant un territoire, nous le transformons, et dans ce même geste, nous nous transformons à notre tour. Nous modifions nos perceptions, nos récits, nos manières de nous projeter. Le géographe Augustin Berque résume cela dans une formule lumineuse : « L’être se crée en créant son milieu ». Solide d’un point de vue scientifique, cette hypothèse ouvre aussi une magnifique question citoyenne et politique : comment aménager un territoire et l’habiter de manière à transformer le cœur humain, et inversement ?

Cette réciprocité entre humains et lieux conduit à deux constats essentiels. D’abord, il est inutile d’opposer imaginaires et actions concrètes : les deux se mêlent, se métissent au quotidien. Ensuite, penser les territoires à partir des relations à l’autre permet de les défixer, de montrer qu’ils sont constamment en évolution. Abandonner ces lectures figées constitue un véritable garde-fou face aux idées nationalistes ou ethnocentrées qui, malheureusement, imprègnent aujourd’hui une part du débat public européen.

 

A l’ère de l’IA et d’une virtualisation de nos vies et le règne des fausses vérités, comment donner envie aux jeunes et à tous de retrouver ce sentiment géographique, cette conscience des lieux et des liens ? par qui, par quoi cela passe t’il ?

Je dis souvent deux choses à mes étudiants : si mon cours vous amène à vous poser davantage de questions qu’en y entrant, alors j’aurai réussi mon premier pari. S’il vous donne envie d’expérimenter, là où vous êtes et à votre manière, les chemins de la relation, alors mon deuxième pari sera gagné. Au fond, on retrouve un sentiment géographique en osant résister et en osant créer.

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