« Les ingénieurs entrent dans le débat » : Egis se mobilise pour réintégrer l’ingénierie dans le débat public et citoyen.
Face aux défis climatiques et aux transitions à faire, Egis veut mobiliser les ingénieurs et placer l’expertise technique au cœur du débat public municipal et national. Dans un débat parfois polarisé, les ingénieurs peuvent apporter de la neutralité et du réalisme opérationnel.
Entrepreneurs d’avenir : Vous dirigez la branche Energie et Villes durables du groupe EGIS. Il se trouve que le groupe lance une initiative très singulière à l’approche des élections municipales : « Les ingénieurs entrent dans le débat ». Pourquoi cette initiative ?
Thomas Salvant : Nous partons d’un constat : si nous n’agissons pas rapidement, la quasi-totalité des villes françaises deviendront inhabitables d’ici à 2050. Les vagues de chaleur seront plus longues, les inondations plus fréquentes, l’accès à l’eau plus tendu. Cette urgence, les Français l’ont comprise : huit sur dix demandent des mesures ambitieuses pour adapter leur territoire.
Pourtant, un décalage persiste. Nous avons de nombreuses solutions pour améliorer l’habitabilité des villes, mais les ingénieurs qui les conçoivent restent trop peu présents dans le débat public. Un second décalage tient au moment où nous sommes mobilisés. Trop souvent, l’ingénierie intervient alors que les grandes orientations sont déjà fixées. Lorsqu’on associe l’ingénieur en amont, chaque projet devient une opportunité d’adaptation, d’innovation et de transformation positive.
Ce constat s’accompagne d’une conviction forte : face à une question aussi complexe que l’adaptation des territoires au changement climatique, la recherche d’une réponse unique et globale est une impasse, nous manquons déjà de temps. Des solutions existent déjà, testées et mises en œuvre dans de nombreux territoires, mais elles restent trop souvent cloisonnées. Il est donc indispensable de renforcer le partage et le dialogue pour que ces expériences circulent, se diffusent et enrichissent collectivement les stratégies locales. C’est en mettant en réseau ces initiatives que nous pourrons construire, brique par brique, un véritable plan de transformation, rapidement, fondé sur le concret, le retour d’expérience et l’intelligence collective.
Avec “Les ingénieurs entrent dans le débat”, nous voulons combler ce décalage. L’objectif n’est pas de faire de la politique, mais d’apporter au débat collectif des repères fiables, concrets et activables dès le prochain mandat. Les décisions prises entre 2026 et 2032 seront déterminantes : il fallait que l’ingénierie prenne toute sa place.
Pourquoi la voix des ingénieurs est importante et spécifique en ces temps chaotiques ou les défis climatiques, territoriaux et sociaux sont à relever ?
Parce que les ingénieurs disposent déjà de solutions activables, et que nous sommes ainsi à l’interface entre la science et l’action. Les ingénieurs transforment des données, des contraintes et des scénarios climatiques en solutions concrètes que les collectivités peuvent mettre en œuvre dès aujourd’hui. Dans un débat parfois polarisé, nous pouvons apporter de la neutralité et notre inclinaison pour le réalisme opérationnel.
Notre spécificité tient aussi à notre vision holistique des enjeux. Une solution de mobilité peut devenir un outil de gestion de l’eau ou une station d’épuration peut produire de l’énergie. Ce
regard transversal permet de faire émerger des co-bénéfices, de croiser les expertises et d’imaginer des projets qui répondent à la fois aux enjeux climatiques, sociaux et économiques. En somme, notre rôle n’est pas de commenter le débat mais de l’outiller et de l’éclairer.
Quelques points importants sont soulignés sur la plateforme (La réalisation de co-bénéfices dans tous les projets et en faveur des transitions et de la Société ; Faire de la ville un écosystème vivant ; explorer le potentiel de l’existant ; toujours reconstruire en mieux…). C’est une sorte de programme complet et une quasi feuille de route programmatique pour l’avenir durable de nos territoires. Comment comptez-vous être entendu par le monde politique et plus largement par tous les acteurs de l’aménagement des territoires ? Auriez-vous des exemples portés par Egis, à nous partager ?
Nous avons choisi une approche structurée autour de principes d’action, qui représentent la manière spécifique qu’ont les ingénieurs d’appréhender des projets d’infrastructure. Nous en avons sélectionné six, illustrés par des exemples réels. Les décideurs ont besoin de solutions déjà éprouvées, activables dès le prochain mandat.
Pour être entendus, nous multiplions aussi les points de contact. Une plateforme dédiée et un e-book rendent l’ensemble accessible. Une présence active sur les réseaux sociaux, une campagne presse (tribune) ainsi que notre participation au Salon des Maires renforcent le dialogue avec les élus et les acteurs de l’aménagement. L’idée est simple : aller partout où la décision territoriale s’élabore et en rencontrer les acteurs.
Nous mettons donc en avant des projets qui montrent comment un territoire peut se transformer lorsqu’on associe les ingénieurs au bon moment. Quelques exemples ? À Rennes, Thermetrennes fait des stations de métro un gisement de chaleur géothermique pour chauffer logements et bureaux. Par ailleurs, le projet Isère Amont illustre une vision de long terme. En redonnant de l’espace à la rivière, seize champs d’inondation protègent 29 communes et restaurent des écosystèmes, prouvant qu’on peut transformer une contrainte en stratégie collective durable. Enfin, avec GIROS, un jumeau numérique de l’estuaire permet de simuler, anticiper et guider les choix d’aménagement. La donnée devient un levier d’action pour des décisions plus rapides et mieux partagées.
Comment allez-vous faire vivre cette initiative ? est elle destinée à rallier d’autres acteurs (entreprises, élus, citoyens, écoles…) ?
Oui, c’est même son ambition centrale. L’adaptation de nos villes nécessite beaucoup plus de dialogue, de partage et de coopération pour que les solutions déjà testées et éprouvées puissent être mises au cœur de nos projets. Nous souhaitons ainsi rassembler élus, entreprises, opérateurs urbains, associations, écoles et citoyens autour d’une vision partagée de l’habitabilité.
La plateforme va s’enrichir régulièrement avec de nouveaux projets et des retours d’expérience issus des territoires. Nous souhaitons organiser des temps d’échange et des rencontres locales pour co-construire cette dynamique avec d’autres acteurs engagés. En somme, il s’agit d’un appel à celles et ceux qui veulent faire la ville autrement.
La formation des ingénieurs ( écoles et universités) répond elle bien à cette exigence de présence des ingénieurs dans le « Débat » ?
La formation des ingénieurs progresse, mais leur présence dans le débat public reste limitée. Leur parcours les pousse à prouver plutôt qu’à convaincre : on leur apprend à démontrer une solution, pas à la défendre publiquement. Ils restent souvent silencieux par prudence, évitant de s’exprimer sur un sujet qu’ils ne maîtrisent pas complètement. Ce réflexe d’exigence, qui fait leur force, devient parfois un frein dans un débat où l’on attend une parole plus large.
Pour autant, la transition climatique exigera de faire émerger des ingénieurs capables de dialoguer avec élus, citoyens, acteurs économiques. Leur rôle n’est plus seulement technique : il devient social et culturel. Une nouvelle génération plus à l’aise dans cette posture émerge déjà. Une société qui veut réussir sa transition doit pouvoir compter sur celles et ceux qui transforment les idées en solutions concrètes. C’est cette dynamique que nous voulons amplifier.