Laurent Demasles : « Partageons la valeur que l’on crée ensemble »

Après une reprise d’entreprise en 2017 et un redressement spectaculaire, Laurent DEMASLES transforme son entreprise en 2021, et cela donne PANDO, comme cet arbre vivant à la fois arbre et forêt. Cette Forêt-Groupe de sept Arbre-Entreprises pour un enracinement robuste et collectif, rassemble maintenant 1000 salariés actionnaires et crée une valeur économique de 200M€. Rencontre avec un entrepreneur humaniste.

 

Entrepreneurs d’avenir : Vous avez beaucoup voyagé et travaillé à l’étranger avant de vous poser dans les Vosges pour reprendre une entreprise locale avec les salariés « Les Zelles ». Pourriez vous nous raconter ce redressement et la manière dont vous avez permis aux salariés d’être associés à l’entreprise, à partir d’un FCPE ?

Laurent Demasles : Que ce soit dans les racines de l’enfance autour du scoutisme, du rugby, de la famille nombreuse ou plus tard en développant mon expérience de vie sur des méga chantiers à l’international en vivant et travaillant avec des dizaines de nationalités et de métiers, je me suis construit autour de l’action au sein d’un collectif riche de sa diversité, porté par un objectif commun ambitieux et rassemblé par des valeurs fortes. Ce triptyque est devenu mon socle indispensable.

Après avoir basculé de la direction de projet à celle d’entreprise pour redresser l’entreprise COLAS en Nouvelle Calédonie, dont un plan social de 100 personnes, puis BAUMERT à côté de Strasbourg j’ai compris toute la responsabilité de la dimension humaine et sociale que porte un mandataire social. Les essentiels liens humains du quotidien, le savoir-faire individuel comme la place de chacun dans la société sont permis et conditionnés par l’entreprise.

Quand on m’a proposé de redresser LES ZELLES, j’ai d’abord vu, à l’instar de mes cousins dans notre village familial des Pyrénées, la possibilité de contribuer à faire vivre une entreprise qui fait vivre un village (de montagne, La Bresse dans les Vosges)…qui fait vivre l’entreprise. J’ai aussi rencontré des individus authentiques, engagés et au service d’un collectif, et non le contraire comme parfois dans des grands groupes. J’ai trouvé un métier complexe alliant industrie du sur mesure et chantier et donc où je pouvais à la fois apprendre et apporter. A mon arrivée fin 2017, la société était en difficulté financière du fait d’un rachat en LBO avec un très fort levier de dette. La mission attendue par le fonds d’investissement propriétaire était de redresser et revendre. J’ai accepté à la condition de pouvoir faire une offre de reprise avec les salariés.

Après deux ans de redressement où la clé a reposé sur le changement de paradigme que nous ne vendions pas des fenêtres mais des chantiers, puis un an à géré le covid, nous avons pu finaliser en 2021 la reprise du capital par 100% des 450 salariés de l’époque rassemblés au sein du premier FCPE de Reprise en France depuis la loi PACTE qui l’a créé. Actionnaire principal tous ensemble nous sommes accompagnés de minoritaires dont BPI et BNP Capital Développement avec comme accord que la valeur ne se créera pas sur de la dette ou des dividendes mais bien sur le développement de l’entreprise.

 

En 2019, vous avez transformé l’entreprise pour en faire une entreprise à mission, aujourd’hui devenue PANDO, un groupe de plus de 1000 collaborateurs et une dizaine de marques. Pourquoi ce nom, et qu’est-ce que cette transformation a changé pour vous, pour les équipes et pour les parties prenantes ? Vous portez une vision humaniste de l’entreprise et du collectif : comment cette boussole se traduit-elle concrètement dans la mise en œuvre de cette démarche ?

Des expériences fortes, avec différents types d’actionnariats, m’ont appris que l’actionnaire est le garant de quelles valeurs l’entreprise crée et comment. La création de la seule valeur financière, au détriment si besoin des autres valeurs, et que dans l’exigence du court terme comme l’impose d’actionnariat boursier ?

« Partager la valeur que l’on crée ensemble » a été mon mantra de départ auquel la forte redistribution de valeur financière permise par le FCPE répondait pleinement. Mais, au creuset de mes convictions, ça ne pouvait fonder un projet ni de vie pour moi ni d’entreprise pour les salariés.

C’est dans cette même loi PACTE que j’ai trouvé le cadre me permettant de structurer ma vision d’un projet d’entreprise fort et systémique : l’entreprise à mission. Elle est devenu la boussole de nos valeurs et donc de nos choix collectifs. Mais sa robustesse, son équilibre et son horizon stratégique sont forgés et rendus possible par son actionnariat salarié, multifamilial dans ses valeurs et sa résilience et long terme dans ses attentes.

Au-delà de la seule création de valeur financière inscrite dans le Code Civil, le cadre stratégique de l’entreprise s’étend à la création de valeur économique avec sa Raison d’être (Bâtir des solutions performantes et responsables pour des constructions durables et source de bien-être collectif), de valeur sociale, de valeur sociétale et de valeur économique avec trois missions correspondantes, le tout inscrit dans ses statuts donc reconnus et validés par tous. Plus que du sens, ces cinq axes sont les conditions de force et de robustesse de l’entreprise. Apporter un bien ou un service essentiel et donc durablement nécessaire, attirer les talents et embarquer tout le corps social pour faire la différence, consolider l’écosystème sociétal, institutions comme chaine de valeur, dont dépend l’entreprise et avec qui elle échange des valeurs ou sinon sombrer collectivement comme l’Union Soviétique ou l’an dernier la Nouvelle Calédonie, intégrer la finitude des matières premières dans notre modèle pour se différencier en réduisant notre dépendance existentielle à leur cout et disponibilité qui sont à risque géopolitique croissant.

En la nommant PANDO, comme cet être vivant méconnu et pourtant le plus vieux et plus gros de la planète localisé dans l’Utah qui est à la fois un seul arbre et une forêt, la holding de reprise portait son double symbole. Celui de l’Arbre-Entreprise où les racines, moitié invisible, sont l’ancrage dans les valeurs, le savoir-faire, l’histoire, le territoire, la chaine de valeur,… qui interagit avec son écosystème, s’adapte à son environnement, résiste aux cycles ; celui de la forêt-Groupe que nous ambitionnions de construire où en partageant les valeurs, et donc en connectant les racines, chaque Arbre-Entreprise contribue et bénéficie de la force du collectif. Soit donc les préceptes stratégiques et organisationnels fondateurs pour construire un développement dans la robustesse.

4 ans plus tard la forêt a bien grandi puisque 7 entreprises rassemblent 1000 salariés actionnaires en créant une valeur économique de 200M€.

 

Vous êtes particulièrement engagé sur les transitions énergétiques et la circularité de votre modèle de production ? avec notamment Pando recyclage qui vous permet de produire la totalité de vos fenêtres avec du PVC recyclé. Pourriez-vous nous partager ces expériences et quels conseils pourriez-vous adresser aux entreprises et dirigeants qui ne sont pas encore de plain-pied sur ces trajectoires ?

Sur l’axe environnemental, conscient de notre dépendance au pétrole en particulier via nos fenêtres en PVC, nous avons, en mode start-up intra entreprenariat, développé Pando Recyclage après 5 ans de travail et 10M€ d’investissements. Nous récupérons les plus de 100 000 fenêtres déposées sur nos chantiers de rénovation ; nous avons ouverts plus de 8 centres de démantèlement de ces fenêtres dans toutes les régions avec des partenaires ESS ayant déjà créé plus de 40 emplois en insertion et permettant le niveau de qualité requis pour que plus de 80% des composants redeviennent matière première pour une nouvelle fenêtre, dont le PVC que nous régénérons et certifions avant de le fournir à notre fournisseur de profilé pour l’intégrer au cœur en co-extrusion. Cette boucle de recyclage nous permet de fabriquer des fenêtres à prix de vente égal et donc l’accès au plus grand nombre pour un maximum de rénovation énergétique. Nos fenêtres nous donnent une différenciation stratégique majeure en présentant la meilleure empreinte carbone du marché. Ce modèle sera d’autant plus économique quand les prix de pétrole et énergie augmenteront tout en contribuant à la souveraineté française sur ces dépendances et créant une activité économique en boucle circulaire fermée 100% française. On a donc bien transformé un risque systémique en une activité stratégique, créatrice de valeurs sur nos cinq axes et renforçant notre robustesse.

Depuis, nous développons d’autres innovations ciblant des enjeux systémiques et existentiels en mode entrepreneurial tels que la mobilité en zone rurale avec Pando Mobilités, la précarité énergétique avec Pando Energies qui est une structure associative d’autoconsommation collective qui sur 20km et à zéro surcout pour chaque collaborateur ou habitant leur permet de devenir producteur d’électricité photovoltaïque à l’instar de nos sites industriels avec qui ils échangent ainsi de l’énergie locale, durable, renouvelable et collective. La fin de carrière dans des métiers à forte pénibilité ou le logement pour les jeunes générations sont d’autres enjeux existentiels à terme sur lesquels nous travaillons déjà en avant-projet.

En plus de donner plus de substance et du sens à notre projet collectif d’entreprise, l’entreprise à mission embrasse la complexité des cinq axes systémiques de toute entreprise sur lesquels la prospective à moyen long terme est plus prévisible que celle à court terme : dérèglement climatique, pénurie des matières premières, démondialisation et basculement géopolitiques, vieillissement de la population, diminution de celle active,… sont autant d’enjeux systémiques que chaque chef d’entreprise pouvant penser le long terme se doit d’intégrer dans sa stratégie sous peine d’une fragilité multiple de son entreprise que notre monde en permacrise exacerbera violemment.  Et comme toute entreprise, mais en l’élargissant aux cinq axes et sur le temps long, l’entreprise à mission mobilise sa capacité d’analyse pour bâtir un plan d’action stratégique pragmatique où la mobilisation de compétences et d’investissements permet de construire des solutions innovantes, impactantes, durables et créatrices de valeurs sur les cinq axes.

 

 

Comment envisagez-vous l’avenir de votre groupe ? le votre ? et quel regard portez-vous sur notre époque et voulez-vous y jouer une nouvelle partition ?

Notre société humaine vit des basculements anthropologiques multiples : technologiques, climatiques, démographiques, politiques, philosophiques, géopolitiques, informationnels, sans compter la limite des ressources,… Nous les responsables de PME et d’ETI, qui sommes viscéralement tributaires du réel et donc connectés à lui et dont la science ou l’information sont des composantes indépassables ; nous qui dirigeons un des derniers lieux où nous faisons société au quotidien à savoir qu’avec des personnes de niveau d’éducation, d’origine, de convictions religieuses ou politiques, de générations, etc. différents et qui ne se sont pas choisies nous faisons faire ensemble œuvre commune dans les nécessaires règles de respect et de confiance; nous qui sommes connectés à nos territoires locaux comme nationaux et donc solidaires et parties prenantes des institutions permettant le vivre ensemble ; nous qui bénéficions de la confiance exigeante de notre corps social ; nous qui avons la force de moyens et d’impact de nos entreprises ; nous, nous devons encore plus que les autres citoyens, nous engager et agir car c’est notre génération que l’Histoire appelle. La crête est escarpée pour réussir à transmettre à la génération suivante un capital social, sociétal, environnemental, philosophique, économique, financier, technologique,… préservant l’essentiel pour bâtir le monde de demain qui nécessairement devra être radicalement différent. L’urgence impose l’action.

Le citoyen, le papa, le philosophe humaniste, l’amoureux de la nature et des arts, le chef d’entreprise, cette personne libre, sage et en marche que j’aspire à devenir, se demande chaque jour : qu’est ce que je peux faire de plus ? Agir, pour choisir, pour donner, pour vivre.

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