Le nouveau livre des Tendances de l’ADN : Regarder notre temps « droit dans les yeux ! »

La directrice de la rédaction du média l’ADN nous résume l’édition 2026. Livre qui prend le pouls de notre époque depuis 2014. Prise de pouvoir du numérique, crises, guerres, fractures, IA générative, Chine conquérante, Trump réélu, tradwives et “come-back des cathos”… Le monde post-pandémie n’est pas celui qu’on avait imaginé.

 

Entrepreneurs d’avenir : Tu es Directrice de la rédaction du média l’ADN depuis sa création : quand et comment t’est venue l’idée de créer un Livre des tendances ?

Béatrice Sutter : L’ADN est né sous l’impulsion d’Adrien de Blanzy. Quand il m’a proposé de lancer un média papier, c’était déjà une folie en 2014 ! Mais cette idée m’a immédiatement séduite : je voulais cartographier les grandes mutations de notre époque — et notamment celles provoquées par le numérique. À l’époque, ça peut paraître fou aujourd’hui, le digital intéressait une toute petite communauté, et très peu les médias. On en parlait dans les pages business ou tech, comme si cela ne concernait que l’économie… alors que je voyais bien que cette révolution allait bouleverser absolument tout : nos façons de travailler, de communiquer, d’aimer, de penser le monde. J’avais la conviction qu’il fallait donner du sens à ce bouleversement, l’observer avec un regard curieux mais lucide. C’est ce qui a fondé l’esprit de L’ADN : pratiquer une sorte d’anthropologie culturelle du présent, regarder comment le numérique transforme le monde à toutes les échelles — économique, sociale, politique, intime même. J’avais titré le premier numéro – Hackez-vous… avant de vous faire hacker. C’était à la fois une alerte et une invitation : s’engager dans le monde qui vient avec appétit, mais sans naïveté. Dix ans plus tard, le numérique est devenu la culture dominante et tellement de choses ont changé, mais notre objectif n’a pas pris une ride : aider nos lecteurs à garder une longueur d’avance, à penser l’époque dans toute sa complexité.

 

Pour cette nouvelle édition, quelle est la tendance qui t’as le plus marquée et pourquoi ?

Cette année, nous avons neuf chapitres dans le Livre des Tendances Société — et honnêtement, chacun mérite qu’on s’y arrête. Ensemble, ils composent un portrait de notre époque qu’on ne trouve nulle part ailleurs.

Mais si je devais résumer mes étonnements, il y en a deux.

D’abord, le renversement total d’esprit du temps. Nous sommes en 2025, à la mi-temps de nos années 20 donc, et quand on regarde en arrière… c’est vertigineux.
Souvenez-vous : 2020, le confinement, #MeToo, Black Lives Matter, le refus du grand capital, la quête de sens, les vegans, les jeunes qui voulaient tout réinventer… On rêvait du “monde d’après”. On pensait qu’on avait compris les limites du modèle industriel, du patriarcat, de la croissance infinie. On se disait : “ça y est, on va changer d’air, de système.”

Et puis… 2025. En cinq ans, les utopies ont pris du plomb, les prises de conscience sociales et écologiques sont en plein back clash et le réel a repris le dessus : crises, guerres, fractures, IA générative, Chine conquérante, Trump réélu… On voit bien que le monde d’après n’est pas celui qu’on avait imaginé.

Mon second étonnement, c’est justement ce qui n’a pas changé : la prise de pouvoir du numérique. Il continue à s’étendre, à infiltrer partout, toujours plus vite, toujours plus profond, sur des phénomènes toujours plus massifs. Aujourd’hui, comprendre le monde réel est totalement impossible si l’on ne maîtrise pas les codes de cette culture.  

 

Encore une fois, la couverture colorée de cette édition 2026 du Livre attise notre curiosité : de quoi est-elle révélatrice, et comment est-elle choisie ?

Toutes nos couvertures ont un point commun : elles montrent un visage qui nous regarde droit dans les yeux. Parce que L’ADN, c’est avant tout ça : un média qui veut dresser le portrait de l’époque, et regarder notre temps sans détour et en face.

Chaque “une” concentre plusieurs tendances du livre. Celle de cette édition 2026 incarne une figure fascinante, presque paradoxale : une sorte d’hybride entre les tradwives très pop — ces jeunes femmes qui prônent le retour à une féminité traditionnelle, la dévotion domestique, mais avec une esthétique ultra contemporaine – glow parfait, lèvres pulpeuses, faux cils — et les grandes icônes de la scène pop new-yorkaise, proche de l’alt-right, comme Chloé Cherry ou Sydney Sweeney.

Avec son geste de prière, elle fait écho à un de notre chapitre : le “come-back des cathos”. On voulait cette ambivalence : une sagesse feinte, une outrance assumée, un mélange de douceur et de provocation.

L’image a été réalisée par le photographe Yann Kukucka, du studio Saga, qui réalise nos Une depuis plusieurs années. Cette fois, il a travaillé avec plusieurs IA — mais surtout avec son esthétique très singulière et très pop que j’adore et qui incarne très bien l’esprit de L’ADN. Ce visage, c’est un peu le miroir de notre époque : à la fois artificiel et spirituel, dérangeant et séduisant. Et c’est ce trouble-là qui nous intéresse.

 

L’écologie et le climat, qui ont été des sujets phares du Livre des tendances sociétales depuis quelques années semblent être les grands absents de cette édition 2026. Comment expliquer ce “back clash” et cette “non-tendance” ?

C’est vrai, l’écologie semble moins visible dans cette édition, mais elle reste en réalité au cœur de notre travail d’observation. Avec le numérique, c’est notre second pilier, et il traverse tous les chapitres — parfois de façon moins frontale, mais toujours en filigrane.

L’an dernier, nous avions consacré un chapitre entier au back clash écologique, et ce mouvement ne faiblit pas. On vit une forme de dissonance collective : tous les sondages soulignent qu’une très large majorité de citoyens voudraient des politiques qui nous engagent vers plus de sobriété, mais dans les faits, les politiques ne prennent pas le relais, et ce ne sont pas les partis écologistes qui l’emportent dans les urnes. Le bio recule, les peluches Labubu et le chocolat Dubaï font rêver une génération qui donne plus d’attention à Taylor Swift et Kim Kardashian qu’à Greta Thunberg…

On est face à une contradiction sidérante — une écologie devenue désirable sur le plan du discours, mais qui n’entre que peu dans les pratiques réelles. Pourquoi, malgré l’urgence, la promesse d’un futur durable ne parvient pas à séduire ? Nous constatons que la puissance des outils numériques n’a pas été comprise par ce courant… ce qui pourrait d’ailleurs changer.

 

Il existe aujourd’hui deux livres des tendances : le Livre des tendances Société – celui paru début octobre – et Le Livre des tendances Business – qui paraitra en janvier 2026. Pourquoi avoir dissocié les deux, et pourrais-tu nous dire quelles tendances se dessinent pour ce Livre à venir ? 

Les deux livres sont profondément complémentaires.

Le Livre des Tendances Société, celui qui vient de paraître, s’intéresse avant tout aux usages, aux comportements humains — individuels et collectifs. C’est presque une enquête d’anthropologie contemporaine : nous partons du terrain, de témoignages de particuliers qui racontent leurs vies, leurs envies, leurs contradictions. C’est un travail d’écoute, avant tout.

Le Livre des Tendances Business, qui paraîtra en janvier, prend le sujet sous un angle différent : il part des marchés, des mutations économiques. Il décrypte dix-sept secteurs — de la mode à l’alimentation, du luxe à la mobilité — pour comprendre comment les transformations sociales se traduisent concrètement dans les modèles d’affaires.

Mais au fond, les deux partagent la même philosophie : à L’ADN, nous ne faisons pas de la prospective froide. Nous observons les mutations avec un regard d’anthropologues du présent. Même quand on parle de business, ce sont les effets sociétaux, culturels, humains, qui nous intéressent avant tout parce qu’ils ont une énorme puissance transformatrice.

Le prochain Livre des tendances est en cours de finalisation, je peux juste vous assurer qu’il sera passionnant. Mais vous le savourerez d’autant mieux que vous aurez pris le temps de lire le Société. Ce n’est pas une formule. Nous vivons une période de mutations hyper intenses – une véritable bascule de notre modèle de société – comme peu de périodes l’ont traversé. Et pour métaboliser ces changements, les comprendre, il n’y a qu’un seul secret : il faut prendre le temps d’y réfléchir. C’est notre job de vous donner envie de plonger. Le réel est réellement plus passionnant que les séries Netflix, plus complexe aussi, mais c’est à chacun de s’emparer de ces sujets, souvent. Régulièrement. Seul. Et Ensemble.

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