Tous « Entreprises à mission » : Le statut qui refonde le rôle économique et social de l’entreprise

Alors que le nombre d’entreprises à mission explose en France, ce modèle bouscule les codes et pousse les dirigeants à repenser leur impact social et environnemental. Entre opportunités et vigilance face au purpose washing, état des lieux d’une dynamique positive et grandissante.

 

Entrepreneurs d’avenir : En trois ans, le nombre de sociétés à mission a triplé, atteignant près de 2 000 entreprises, avec plus d’un million de salariés désormais engagés, selon le 8eme baromètre des sociétés à mission. Cette progression traduit-elle, selon vous, un changement de fond dans le monde de l’entreprise ?

Valérie Brisac : La loi PACTE, qui a introduit la possibilité, pour les entreprises, de devenir « à mission », est récente (mai 2019), on manque donc d’un peu de recul. Ce qui est certain, c’est que le mouvement est bien là : la dynamique se poursuit d’année en année, et ce de manière très protéiforme. Il n’y a pas une seule typologie d’entreprise à mission, ce qui montre que le modèle s’est diffusé très largement. Que ce soit pour conforter des engagements pré-existants, marquer un changement dans la stratégie (après un rachat, à l’arrivée d’une nouvelle gouvernance), se différencier dès la création de l’entreprise, re-mobiliser son écosystème autour d’un projet fédérateur … les motivations pour choisir la qualité d’entreprise à mission sont très diverses. Par ailleurs, tous les secteurs de l’économie françaises sont concernés avec des entreprises à mission comme Back Market dans la tech, Bel dans l’agroalimentaire ou Doctolib dans la santé. Ce qui est commun – et qui peut en effet laisser penser qu’un changement de fond s’opère, c’est que les dirigeants qui font ce choix ne souhaitent plus faire du business « comme avant », ils ont bien compris que le contexte de polycrises dans lequel nous nous trouvons rend l’entreprise classique inadaptée et fragile. Ils repensent ainsi leur stratégie autour d’une mission contributive pour la société, qui place leur activité au service d’un projet mobilisateur, et qui s’inscrit dans un tout plus vaste que leur horizon compétitif précédent.

 

Quels défis ressortent le plus clairement dans les retours des entreprises interrogées ? Quelles sont les spécificités des entreprises à mission (tailles, secteurs…) ?

Devenir entreprise à mission est un processus de transformation, qui comporte plusieurs phases : de la définition de la mission (raison d’être et objectifs), à la mise en place du dispositif (constitution du Comité de mission, lancement et pilotage du plan stratégique) et à la consolidation (avis OTI successifs, révision de la mission au fil du temps), …. l’entreprise s’approprie peu à peu les différents changements que cela induit, qui sont plus ou moins « transformatifs » en fonction des contextes. C’est un premier défi. Je dirais que le défi majeur c’est finalement d’incarner, dans le temps, la mission, et de la faire vivre au quotidien, afin que les équipes et son écosystème voient la différence, et que le plan stratégique de l’entreprise intègre les objectifs de mission. Notre dernier Baromètre montre la grande diversité des entreprises à mission (en termes de taille, d’ancienneté, d’implantation géographique, de secteur d’activité, …). 81% d’entre elles sont des PME (<250 salariés), 19% des ETI ou des grandes entreprises, une proportion bien plus importante que dans l’économie française (2%). Elles sont le reflet de ce qu’est l’économie française dans son ensemble, ce qui prouve l’adaptabilité du modèle, qui en fait la force.

 

Comment la Communauté accompagne-t-elle concrètement les entreprises dans leur transition vers la qualité de société à mission ? et Quels sont les grands chantiers ou priorités de la communauté dans les années à venir ?

Notre réseau réunit plus de 350 entreprises, de la PME à la grande entreprise, à Paris comme en régions, dans tous les secteurs de l’économie (Bel, MAIF, Camif, Raise, Transdev, La Banque Postale, Alenvi, Crédit Mutuel Arkéa, Bayard, Faguo…). Cela nous donne une force considérable pour comprendre les enjeux des entreprises à mission et y répondre. Nous organisons ainsi pour nos membres (organisations à mission ou en chemin) de nombreux partages d’expérience, sous plusieurs formes, afin de progresser collectivement dans la manière de vivre sa mission. Ces échanges articulent retours d’expérience et apport d’expertise et donnent souvent lieu à des publications que nous mettons à disposition du plus grand nombre. Nous avons également un réseau d’ambassadeurs en région, qui organisent également de nombreux événements.

Notre priorité est de convaincre de plus en plus d’acteurs économiques de la pertinence du modèle et notamment sa dimension transformative. Nous accompagnons des bascules sectorielles intéressantes, je pense notamment à l’assurance et à la santé. L’entreprise à mission n’est pas seulement une manière de rendre l’entreprise singulière, c’est aussi un formidable modèle de gouvernance, qui permet d’aligner tous les acteurs autour d’une boussole commune, ce qui donne une forte capacité à agir. Nous souhaitons promouvoir ce modèle à trois niveaux : en régions, au niveau national et aussi en Europe où nous sommes associés dans cette démarche à d’autres pays qui ont adopté des réglementations similaires (comme en Italie).

 

 

Certaines voix s’interrogent sur le risque de “purpose washing”, estimant que le statut d’entreprise à mission peut parfois rester déclaratif sans réel changement de pratiques. Comment garantir que cet engagement se traduise par des actions concrètes et mesurables pour le progrès écologique et social ?

Le modèle de l’entreprise à mission permet d’articuler liberté et contrôle. Liberté dans l’élaboration de sa mission (raison d’être et objectifs), le choix du niveau d’ambition, des membres du comité de mission, … ce qui laisse l’entreprise totalement maître sur le fond. Le corollaire de la liberté, c’est le double contrôle, via le comité de mission et l’organisme tiers indépendant (OTI). Le comité de mission interagit avec la gouvernance de l’entreprise et remet chaque année un rapport sur la réalité de la mise en œuvre de la mission, avec des recommandations. L’OTI, comme son nom l’indique, est un organisme externe, indépendant, qui vérifie régulièrement que la mission est bien mise en œuvre et que les objectifs fixés sont atteints. Le résultat de cette évaluation doit être publié par l’entreprise sur son site internet pendant cinq ans. Ce mécanisme exigeant est un moyen efficace pour éviter le purpose washing, puisque la promesse faite par l’entreprise est vérifiée et contrôlée. Il ne s’agit pas d’un slogan mais bien d’un projet qui doit être mis en œuvre concrètement.

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