Marie Monique Robin filme l’économie que l’on aime

Dans son dernier film, Nouvelle Cordée, sorti à l’automne, la journaliste Marie-Monique Robin raconte l’aventure d’une entreprise pas comme les autres : l’Entreprise à but d’emploi, qui embauche des chômeurs longue durée. Bien accueilli par le public, ce film « donne la pêche », parce qu’il montre des solutions. Mais la réalisatrice met en garde : pour que ces solutions se pérennisent, il faut encore une loi.

 

Entrepreneurs d’avenir – Depuis sa sortie, votre film a été projeté dans de nombreuses salles à travers la France. Comment est-il reçu ?
Marie-Monique Robin – J’ai participé à une soixantaine de projections-débats, j’ai donc des infos de première main. D’abord il donne la pêche parce qu’il fait du bien ! Nous sommes noyés dans les mauvaises nouvelles, et le film montre des solutions. Il provoque aussi beaucoup d’émotion, les spectateurs sortent souvent avec les larmes aux yeux. Les protagonistes du film avaient tous plusieurs années de chômage derrière eux. Je les ai filmés tous les trois mois depuis 2015. Au début, ils étaient déprimés, malheureux, certains étaient même alcooliques. Quatre ans plus tard, ils se redressent, ils se remettent à parler, ils partagent leur expérience. Sous l’œil de la caméra, ils semblent littéralement renaître. C’est la magie de la technique audiovisuelle d’avoir pu l’enregistrer.

Est-ce que vous avez conservé des liens avec eux ?

Quand on passe quatre ans à filmer des gens, on ne peut pas disparaître comme ça du jour au lendemain. On se parle régulièrement, on s’envoie des SMS, on communique via la page Facebook du film, et celle de l’ESIAM, l’entreprise qui les embauche.

L’ESIAM est donc une EBE, Entreprise à but d’emploi. Quels types d’emploi crée-t-elle ?

La loi sur les Territoires zéro chômeur longue durée (TZCLD) est claire : les activités des EBE ne doivent pas entrer en concurrence avec l’économie classique. Malgré cette contrainte légitime, les EBE ont développé plein de « petits travaux utiles », comme ils disent à Mauléon, pour répondre à des besoins non satisfaits : services à la personne, recyclage, entretien des espaces verts, aide aux associations… Aujourd’hui, il n’y a plus de chômeurs longue durée, et c’est la seule ville des Deux-Sèvres où les gilets jaunes n’ont pas occupé de rond-point. Même le Figaro s’est fendu d’un article élogieux sur cette expérimentation.

Ces ex-chômeurs sont-ils définitivement sortis d’affaire ? Ont-ils le sentiment d’en avoir fini avec la précarité ?

D’après la loi, ceux qui sont embauchés dans une EBE sont salariés en CDI, payés au SMIC. Mais l’expérimentation est prévue pour durer cinq ans. Après évaluation, une deuxième loi doit la prolonger sur les dix territoires déjà engagés et l’étendre à d’autres territoires. 180 villes sont déjà volontaires. Cette deuxième loi est donc importante parce que si elle n’est pas adoptée, l’expérimentation s’arrêtera d’ici un an et demi.

Où en est-on de cette deuxième loi ? Avez-vous des échos sur son avancée ?

Emmanuel Macron s’était engagé à la faire voter en 2019 lors de la présentation du programme de lutte contre la pauvreté en septembre 2018 et pendant le débat public. Mais elle n’est toujours pas passée. Pourtant même la ministre du travail a pris conscience de son intérêt. Louis Gallois, président du fonds de l’expérimentation, a déclaré qu’elle pourrait être votée avant la fin de l’année 2020. Pourvu qu’il dise vrai !

Quels obstacles freinent le vote de cette loi, selon vous ?

C’est une bataille de chiffres. Un rapport de l’IGAS a dénoncé le coût de ces emplois, 18 000 € par salarié, mais il ne tient pas compte de l’augmentation du chiffre d’affaires des EBE. Un comité scientifique a constaté que les employés des EBE ont rapporté 18 000 € à la France, en consommant et en cotisant. D’un point de vue comptable, on peut dire que l’argent dépensé pour maintenir les gens dans la précarité a créé de l’emploi.

Avez-vous rencontré des entrepreneurs ? Que pensent-ils de votre film ?

Des chefs d’entreprises petites et moyennes m’ont confié que le film avait changé leur regard sur le chômage longue durée. Beaucoup sont inquiets, et ils perçoivent les EBE comme des laboratoires d’innovation sociale, économique et écologique, qui préfigurent l’économie dont nous avons besoin. C’est pour ça que j’étais heureuse de participer au Parlement et de parler aux entrepreneurs, car nous devons repenser l’économie et l’intérêt général. Voilà un thème pour les Entrepreneurs d’avenir !

Nouvelle cordée, film de Marie-Monique Robin, 2019.

 

Propos recueillis par Pascal de Rauglaudre

 

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