Comprendre les comportements pour pouvoir agir : tout est dans le cerveau !

Jacques Fradin, fondateur de l’Institut de Médecine Environnementale et du GIECO (Le Groupe International d’Experts sur les Changements de Comportement), démontre que nous pourrions améliorer nos engagements écologiques concrets en comprenant mieux notre cerveau.

Vous êtes fondateur de l’Institut de Médecine Environnementale, initiateur de l’Approche Neurocognitive et Comportementale. Quel bilan faites-vous de vos travaux de ces dernières années ?

 Jacques FRADIN – Dans notre Laboratoire Psychologie et Neuroscience de l’Institut de Médecines Environnementales, nous avons principalement travaillé sur les rapports de forces dans le cadre scientifique des comportements de dominance et de soumission. Nous appelons ce rapport le positionnement grégaire, c’est-à-dire un positionnement hiérarchique dans les relations humaines. Ce positionnement a des conséquences aussi bien sur les comportements individuels que les comportements collectifs. Pour ce qui est des comportements individuels, nous essayons de faire le lien entre les troubles concernant les dominants (psychologiques, psychiatriques ou comportements antisociaux) et les troubles de soumission (obsessionnel, compulsifs ou comportements mélancoliques et dépressifs). Nous faisons ces liens au sein de différents domaines sociaux, où des formes plus légères de ces tendances se rencontrent fréquemment.

Pour effectuer ceci, nous avions réalisé une enquête dans le domaine du travail en 2011, montrant que les rapports de dominance et de soumission semblent présents dans un nombre significatif de relations sociales. Les comportements naturels des gens par manque d’affirmation de soi (lorsqu’il s’agit de la soumission) et par excès d’affirmation de soi (lorsqu’il s’agit de la dominance) peuvent impacter les comportements de façon volontaire et involontaire.

Nous avions aussi réalisé une étude dans le domaine collectif en 2015, sur la consommation d’énergie dans les appartements parisiens, en coopération avec la Ville De Paris. Celle-ci montrait que les comportements de dominance sont associés à des consommations d’énergie plus élevées. Les comportements dominance et soumission sont donc à prendre en compte dans le domaine du développement durable, aussi bien pour savoir ce qui les accentuent ou, à l’inverse, ce qui permettrait d’en limiter l’impact dans notre vie individuelle ou sociale.

Quels liens faites-vous entre l’étude et la compréhension des comportements et les enjeux environnementaux qui menacent le vivant ?

 Dans l’évolution des espèces, sous l’angle des sciences des comportements et des neurosciences, une partie de nos comportements ne vient pas de notre apprentissage ou de notre expérience individuelle et culturelle. Cette part vient de l’évolution des espèces, ce qui explique « les biais cognitifs », autrement dit les prédispositions à déformer la perception que nous avons des évènements, afin de nous ”précablé” pour certain type de réponse. Ces « biais cognitifs » montrent en particulier que nous sommes ”précablé” pour gérer des problèmes de courts termes dans le temps et de courte portée dans l’espace.

Nous sommes donc en général plus concernés par les problèmes immédiats autour de nous. On parle notamment du « facteur kilomètre » dans l’insensibilité au sort de nos congénères. Plus un incident se produit proche de nous, plus nous sommes sensibles et plus il se produit loin, moins nous le sommes. Cette logique est la même pour le temps : ce qui est immédiat (les incendies ou la sécheresse de cet été) nous touche plus que les prévisions sur une vingtaine d’années, même si nous et nos descendants seront forcément concernés.

C’est pourquoi, aujourd’hui, nous pensons que ces liens entre les mécanismes de développement, pas seulement de l’individu mais de l’espèce, sont à prendre en compte dans la gestion de problématiques aussi vastes. Du fait de notre développement en société, c’est la première fois que nos comportements de milliards d’individus, avec beaucoup plus de moyens qu’avant, peuvent gravement perturber ou menacer notre écosystème climatique et biologique.

Pourriez-vous nous présenter le GIECO (Le Groupe International d’Experts sur les Changements de Comportement) que vous avez lancé ? Quelles sont ses perspectives ?

Nous nous sommes inspirés d’anciennes institutions comme le GIEC (pour le climat) ou de l’OMS (pour la santé), afin d’essayer d’approcher les questions climatiques, du développement durable, et des transitions. Étant responsable de l’IME (Institut médico-éducatif) et du laboratoire de Toxicologie et des Neurosciences, nos recherches sont de plus en plus orientées vers des questions de santé individuelle et publique, mais aussi des questions de survie collective à l’échelle écosystémique.

En effet, ces réponses ne peuvent plus consister en quelques connaissances partagées mais être des réponses collectives et mondiales, afin d’espérer impacter sous dix ans à venir le comportement collectif. Pour cela, la création d’institutions comme le GIECO (un GIEC du comportement) ou IPBC (International Panel on Behavior Change) est indispensable. Croiser des disciplines et des chercheurs du monde entier permet de donner plus de poids au niveau sociétal et d’impacter davantage les gouvernants et le monde économique. Il s’agit de faire évoluer les sciences encore considérées comme molles par rapport aux sciences plus rationnelles (sciences fondamentales et les sciences appliquées opérationnelles). En ce qui concerne les perspectives du GIECO, nous prévoyons de publier des rapports thématiques. Un fonctionnement collectif sous forme d’alliance nous permettra de faire remonter au niveau mondial les besoins. L’objectif est d’augmenter l’impact de ces connaissances sur le fonctionnement de nos sociétés comme l’éducation ou le management.

En quoi comprendre le fonctionnement de notre cerveau peut-il nous aider à changer nos modes de consommations catastrophiques pour les écosystèmes et la vie sur terre ?

Le journaliste Sébastien Bohler, auteur de publication de Cerveau & Psycho et docteur en neurosciences, avec qui j’ai déjà travaillé, a écrit un livre résumant un des grands problèmes de notre époque : l’addiction. Son ouvrage, « Le Bug humain » (2019), résume comment les mécanismes de la dopamine sont des mécanismes de récompenses. Nous constatons comment le marketing, en nous faisant des promesses permanentes, peut nous amener à détourner nos besoins biologiques immédiats. Est-ce que la promesse de posséder une grosse voiture nous rendra plus heureux ? Non, des études le montrent, mais nous pouvons le croire avec ce qu’on appelle la « désirabilité sociale ». Aussi, une étude sur le bonheur de Harvard montre que le bonheur éprouvé en fin de journée n’est pas le même que celui qu’on s’imagine dans le futur : une promesse sur l’avenir.

Vous interviendrez lors de l’Université de la Terre et du Parlement des Entrepreneurs d’avenir à l’UNESCO sur le thème « Économique, politique, psychologique : qu’est-ce qui nous empêche d’agir ? » en novembre prochain. Que souhaitez-vous partager à ce sujet ?

 Le cortex préfrontal du cerveau nous permet d’anticiper, de coopérer et d’être empathique. Ce cortex est à l’origine de nos initiatives. Il faut donc faire l’éducation de cette gouvernance préfrontale dès le plus jeune âge. Elle pourrait être la meilleure réponse pour pouvoir développer l’initiative, le fait d’oser et de s’autonomiser. Pour l’instant, nous en sommes loin, nous sommes plutôt dans l’addiction et l’image sociale. Nous avons quelque part déjà franchi la moitié du guet, mais il va falloir que l’on aille beaucoup plus loin.

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