Éloge des patrons atypiques

La différence, c’est une ressource essentielle pour les entreprises, conclut Norbert Alter, sociologue, qui a rencontré une soixantaine de dirigeants aux parcours atypiques, dans le cadre de son dernier ouvrage.


Les patrons atypiques savent transformer leurs différences en atouts extraordinaires. C’est en substance le message que Norbert Alter, sociologue et professeur à l’Université de Paris Dauphine, a fait passer, lors de son intervention au Parlement des Entrepreneurs d’avenir.
Pour La Une RSE, il brosse le portrait de ces entrepreneurs issus de la diversité, qu’il présente plus longuement dans son livre « La force de la différence », publié en décembre 2012.

La différence, source d’innovation

En entreprise, la différence est à la source du management innovant : impossible d’innover sans penser différemment. L’innovateur, différent par définition, transgresse plus facilement les normes et les règles établies, il s’écarte des pratiques de management plus conformistes. En contrepartie d’une socialisation imparfaite, il possède d’autres représentations, d’autres valeurs, d’autres conceptions du risque. La différence introduit donc de l’hétérogénéité dans les cultures professionnelles, elle questionne la façon d’être ensemble, de construire et piloter les projets, elle crée de l’ouverture et évite le conformisme.


Plus de distance…


Les dirigeants issus de la diversité sont à la fois plus distanciés et plus impliqués. Ils sont plus distanciés par leur trajectoire personnelle : ils ont compris que les conventions, les normes abritaient souvent des stéréotypes, des idées toutes faites. Ils sont critiques par rapport aux modalités de management et de gestion habituelles, dont ils ne sont pas imprégnés comme les technocrates. Le patron autodidacte d’une grande entreprise confiait par exemple qu’« il est préférable de regarder la route que les tableaux de bord ».
Ils sont également distanciés par rapport aux modes de relation habituels : ils préfèrent avoir des relations directes de personne à personne plutôt que des relations de fonction à fonction, parce qu’ils ont fait l’expérience du caractère écrasant des conventions managériales.

… et plus d’implication

Ces dirigeants sont aussi plus impliqués, ils prennent plus de risques que les autres : s’ils n’en prennent pas, ils sont en situation de péril, leur place dans les organisations sera moins favorable. Ils sont donc plus actifs et plus efficaces, et font plus d’efforts pour ne pas être victimes des stéréotypes. Ils ont appris à être « congruents », pour reprendre un terme de psychologie, c’est-à-dire à maintenir leur système de représentation et leur projet personnel indépendamment du jugement des autres.

Des créateurs de réseau

Ils sont très habiles dans la création de réseaux : ils en ont besoin pour développer des stratégies qui ne sont pas habituelles. Ils privilégient les face-à-face et savent éprouver de l’empathie, qui leur permet de dépasser les stéréotypes. Ils s’engagent dans des négociations commerciales avec une très grande efficacité, et n’hésitent pas à s’adresser à l’autre, à jouer des relations. Même s’ils ne possèdent pas tous les codes de la sociabilisation habituelle des dirigeants, ils savent être extrêmement sociables, et jouent sur les relations avec un peu d’humour et d’ironie.
Parvenus au sommet, ces leaders conservent leurs spécificités. Ils occupent une position de passeurs : comme ils connaissent plusieurs mondes sociaux, ils tirent parti de cette position intermédiaire pour faire passer des personnes, des idées, des ressources, qui généralement n’habitent qu’un territoire social ou économique.

Les stéréotypes ont la vie dure

Un chef d’entreprise noir, qui avait arrêté ses études au niveau du bac, raconte que lorsqu’il a rendez-vous avec un banquier qu’il ne connaît pas, celui-ci a besoin de 15 à 20 minutes pour comprendre que la personne en face de lui est un homme d’affaires comme les autres ! L’abandon du stéréotype demande du temps.

Ce chef d’entreprise explique qu’il appréhende mieux les compétences des individus, indépendamment des qualités objectives de leur CV. Il manage ses collaborateurs en fonction de leur potentiel plus que de leur pedigree. Il se sent aussi davantage prêt à tendre la main à ceux qui en ont besoin pour révéler leur potentiel, surtout dans les entreprises où la vie est difficile sans diplôme, sans réseau et sans appartenance sociale suffisante. Celui qui a un parcours non linéaire est plus attentif aux difficultés, il sait davantage percevoir les ressources que les autres ne voient pas.

Norbert Alter, La force de la différence : Itinéraires de patrons atypiques, Presses Universitaires de France, 2012, 328 p.

Dominique Pialot & Pascal de Rauglaudre

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