« La grande impatience : les entreprises face à la transformation de l’engagement »

Pascale Giet dirige la communication du groupe TRANSDEV, leader mondial des transports publics. Elle a effectué sa carrière dans de grands groupes internationaux et occupé différents postes de directeur RSE, développement durable et communication. Elle a rejoint récemment le conseil d’administration de l’Agence du Don en Nature. Pascale Giet s’appuie sur son expérience pour explorer les équilibres qui président à de nouvelles formes d’engagement au sein des entreprises. Découvrez son interview.

 

Entrepreneurs d’avenir : Vous venez de publier un ouvrage : « La grande impatience : les entreprises face à la transformation de l’engagement ». Vous y disséquez les courants contradictoires et les crises majeures qui traversent et bouleversent le monde économique et spécifiquement les entreprises. À quelle impatience, le monde de l’entreprise a à faire face ?

Pascale Giet : L’impatience est partout car il y a une forme de trop plein lié à l’accumulation des crises et à une pression qui ne faiblit pas. Il y a un besoin d’autonomie, mais aussi de liens et de collectif. On le voit dans le repli de chacun vers sa famille, ses amis, son couple, sa communauté. Dans le monde de l’entreprise il me semble qu’il est nécessaire de se dégager des contraintes de l’urgence permanente, mais aussi d’arrêter le grand gaspillage : des ressources, du temps, des énergies… La gouvernance par les « nombres » est en train d’atteindre ses limites, la verticalité du management aussi. L’impatience traduit aussi le besoin de résultats visibles et à court terme qui ne peuvent plus rester masqués derrière la bureaucratie.

Vous placez au cœur de votre livre, la défiance grandissante envers le travail, sa place, son sens et donc le défi majeur qui se pose aux entreprises pour restaurer la confiance. Comment l’entreprise peut-elle gérer cette forme de désengagement qui ne concerne d’ailleurs pas que les jeunes ?

Il y a une forme de crise de “reconnaissance” dans les démocraties occidentales, qui touche forcément les entreprises : la foi en la mobilité sociale s’étiole et parallèlement depuis le Covid, les priorités ont changé. Le point extrêmement positif c’est que plus personne n’a envie de tout sacrifier, soit à son travail, soit à sa vie personnelle. L’équilibre entre les 2 est devenu essentiel. Nous sommes dans cette période charnière qui voit la confiance devenir le point de bascule. La confiance passe par la proximité, l’entraide, l’écoute. Dans le monde du travail, elle passe aussi par la manière dont on comprend son rôle dans une organisation, et la reconnaissance de ce que l’on fait. C’est cela qui est au cœur de la question du sens au travail : malheureusement dans beaucoup d’entreprises, le développement du télétravail s’est accompagné d’un renforcement des contrôles et d’une recherche accrue de productivité.
Les réponses à apporter peuvent être multiples et je m’emploie dans le livre à donner différents exemples. On voit que le turn over est moins fort dans des entreprises qui mettent en place des organisations de proximité. On voit que face à la dilution du collectif que génère le travail hybride, les rituels reprennent leur place. On voit émerger aussi des attentes autour d’ un contrat social basé sur la dignité du travail. L’attention aux « qualités de chacun » s’avère plus importante que de “cultiver les talents” : les mots aussi doivent retrouver du sens.

Vous mettez en exergue le besoin de « proximité » des citoyens et notamment des jeunes (cf : Baromètre BVA – Fondation Jean Jaurès – MACIF – Les jeunes et l’entreprise). Les jeunes ne sont que 14 % a souhaiter travailler dans une entreprise du CAC 40. Ils plébiscitent l’entreprise « locale ». Comment l’entreprise peut-elle créer les conditions de cette proximité, dont vous parlez dans votre ouvrage ?

L’anthropologue Robin Dunbar a démontré qu’un individu ne peut entretenir de relations équilibrées avec plus de 150 personnes : c’est la taille idéale d’une entité pour générer la confiance, à ses yeux.
L’entreprise est un monde « en soi » avec ses propres règles. Elle doit éviter le piège du sur-contrôle, et veiller à préserver véritablement l’altérité, à faciliter la transmission, à s’inscrire dans un temps long.
La standardisation des discours et des process génère une forme d’auto-censure qui ne doit pas vaincre. Chacun peut à sa place contribuer à un monde désirable, un progrès qui, à l’échelle de l’entreprise, combinerait impact environnemental et bien être au travail.

Vous évoquez aussi une crise de gouvernance qui ne laisse pas assez de place à la reconnaissance, au partage de la valeur et du pouvoir. Comment agir sur ce levier et pourriez-vous nous mentionner des entreprises qui auraient réussi cette transformation ?

On n’a jamais autant parlé de « raison d’être » mais si l’entreprise tient un discours qui ne s’incarne pas dans ses modes de management et de partage de la valeur, le fossé se creusera entre les promesses et la réalité, jusqu’à laisser s’installer la défiance. Les dirigeants d’entreprises se disent par exemple attentifs à la parité et à la diversité, mais dans la pratique, la standardisation prime, les organisations sont de plus en plus normatives. Or pour susciter de l’engagement, l’entreprise doit redevenir un espace où la liberté et la confiance sont possibles.
Je cite dans le livre de nombreuses entreprises qui sont sur ce chemin.

Cette grande impatience n’est-elle pas finalement le signe d’une grande défiance vis-à-vis de l’économie capitaliste et de son modèle productiviste et consumériste à bout de souffle ?

Ce petit livre rouge n’est pas celui de l’anti-capitalisme !
Mais oui, il signifie que l’impératif de croissance perpétuelle ne répond plus aux enjeux qui sont devant nous. Il faut clairement bâtir les conditions d’une prospérité durable.
Chacun se rend bien compte que la productivité ne constitue pas un horizon de projection suffisant pour les individus. Il est nécessaire de répondre à leur besoin d’espérance.
Il faut aussi dépasser l’opposition entre croissance et décroissance pour choisir une troisième voie, celle de l’action : une sobriété organisée qui aboutit à de nouvelles manières de faire, de produire et de consommer.

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