Les impacts positifs de la semaine de 4 jours

Laurent de la Clergerie, fondateur du Groupe LDLC, décide début 2021 d'instaurer la semaine de 4 jours en seulement 10 jours. Un pari vu comme risqué et coûteux, qui s'avère être un équilibre idéal pour la santé financière du groupe et le bien-être des employés.

25 ans après la création de votre Groupe LDLC, vous avez décidé en seulement 10 jours de mettre en place la semaine de 4 jours : pourquoi ? Comment ?

Laurent de La Clergerie : Et nous l’avons mis en place le 25 janvier 2021, jour anniversaire des 25 ans du Groupe !
Il y a deux ans en décembre 2019, je lis cet article : Microsoft teste la semaine de 4 jours au japon  pendant un mois plein, en août 2019, avec un véritable gain d’efficacité estimé à 40% en comparaison de l’année précédente. Mais en dépit de ce résultat, cela en reste au stade expérimental.

A ce moment-là, je suis dans la recherche de l’amélioration de notre qualité de vie au travail et- très clairement- cette lecture plante et fait germer la graine de la semaine de quatre jours en moi. Je fais rapidement des recherches en ligne et je découvre qu’elle est déjà un peu pratiquée en Nouvelle Zélande, en Suède aussi. Très vite, je me demande « Et si dans le groupe on travaillait tout le temps quatre jours par semaine, qu’est-ce que cela changerait ? « . Tout d’abord, pour que ma proposition soit acceptée par tous, je souhaite préserver les équilibres familiaux des collaborateurs, et nous optons pour 32 heures travaillées pour tout le monde, soit seulement 1 heure de plus sur chacune des quatre journées.  Et puis, c’est évident, nous décidons de maintenir les salaires.

La décision d ‘y aller étant quasi-prise, je chiffre à 4 % de la masse salariale ce que cela pouvait potentiellement coûter, sachant que je n’avais pas la volonté une fois cette décision prise de revenir en arrière : le risque accepté est de 1,5 million d’euros.

LDLC Groupe est coté en bourse et nous détenons plus de 50 % du capital : cette indépendance familiale nous permet d’annoncer la décision en même temps à tous, actionnaires compris. Ces derniers ont d ‘abord vu le coût qui pouvait potentiellement impacter négativement leur investissement. Quant moi j’y ai vu un gain en matière de bien-être des équipes.
Je suis heureux d’avoir pris cette décision.

Un an et demi après, quels sont les 3 enseignements que vous tirez de votre expérience ?

Je n’ai eu que des bonnes surprises !
En premier lieu, la mise en place légale a été assez simple : on est passé en temps plein « trente-deux heures », les RTT ayant été figés sur les jours off non travaillés. Beaucoup voulant naturellement obtenir leur vendredi, on a proposé de créer des binômes « semaine paire/impaire » pour faire tourner les équipes. Et bien entendu, les personnes qui bénéficiaient d’un temps de travail à 80 % (exclusivement des femmes alors) voulant garder le mercredi ont pu le faire. Cela a aussi amené des hommes à prendre leur mercredi : en ce sens l’égalité professionnelle homme/femme a gagné sans perte de salaire pour ceux qui n’avaient pas encore pu faire ce choix.

Les équipes se sont organisées et devaient faire un retour si besoin d’embaucher : cela n’a pas été le cas et le coût potentiel de 1,5 million d’euros s’est « évanoui ».

Les craintes des managers, ont pu être elles levées entre une semaine et trois mois.

Nos bureaux fonctionnent toujours cinq jours sur sept, tout comme nos entrepôts, et les boutiques et la relation client six jours sur sept : une fois tout le monde d’accord, cela a marché du jour au lendemain et nous n’avons pas eu besoin de revenir sur quoi que ce soit.

Les gens travaillent bien mieux, sont bien plus reposés. Cette journée de plus dans la semaine fait que mentalement on est beaucoup mieux, il n’y a plus d’épuisement : dans une boîte qui travaille cinq jours on attend les vacances, nous on attend juste le week-end !

On est vraiment plus efficace et plus reposé, on est capable de faire bien plus, sans aucun surmenage.

Cela a même créé un phénomène bonus, celui de fluidification du travail entre les équipes.  Les collaborateurs ont appris à travailler différemment, la notion d’urgence est tombée : on apprend à attendre vingt-quatre heures, voir même quarante-huit heures une réponse, sans stress. Cela a cassé la notion du fameux « tout est urgence » : l’apaisement est venu.  Les maux actuels du travail n’existent pas au sein du Groupe LDLC, il n’y a plus d’éclat, tout se traite dans le calme. L’absentéisme y est même inférieur à 2019 en dépit des cas COVID.

Le seul point d’attention est celui de notre taux de turnover :  2,2% !  Nos collaborateurs se sentent bien et  ne veulent plus bouger, certains ont alors le sentiment de ne plus pouvoir progresser dans ce contexte. Ceci sera peut-être résolu par la croissance. Cela pourrait aussi être corrigé si l’offre de la semaine de quatre jours était généralisée partout dans notre secteur et dans les entreprises en France !

Dans la guerre des talents qui sévit aujourd’hui dans votre univers, proposer de travailler seulement 32 heures est-ce uniquement un moyen d’attractivité ?

Oui sans aucun doute, le phénomène d’attractivité de la semaine des quatre jours/ trois jours de repos est très très fort. Nous continuons même à recevoir quelques CV alors qu’il y a pénurie dans les métiers de l’informatique. Et sur tous les autres postes proposés on reçoit beaucoup trop de CV, ce qui complexifie notre choix mais est un vrai signe d’attractivité.

Il y a quelque temps, on avait travaillé sur la position du manager « ressource » et les managers qui étaient hypers contrôlants avaient tous quitté l’entreprise, ne s’y retrouvant pas. Avec la mise en place de la semaine des quatre jours, les managers ont fait le constat que cela pouvait fonctionner en dépit de certaines craintes et nous n’avons enregistré aucun départ.
Cette organisation renforce le lien entre les collaborateurs. Elle a même créé un sentiment particulier : ils sont fiers d’appartenir à l’entreprise, ils ont l’impression d’écrire l’histoire, cela renforce l’esprit « groupe » et  traduit l’âme du Groupe.

Diriez-vous que toute entreprise – quelle que soit sa nature et son organisation – peut facilement mettre en place cet équilibre de temps travaillé ou quels seraient les écueils que vous verriez ?

L’équilibre qui apporte du bien-être me semble possible d’être mis en place dans la quasi-totalité des organisations (à l’exception de celles qui facturent leurs prestations à la journée qui devraient revoir son modèle économique pour cela). Cela impacte favorablement la vie des gens et change leur rapport au travail. Pour que cela fonctionne, tout dépend de l’ambiance « d’avant » c’est à dire de la confiance installée ! Chez LDLC ce sont les personnes elles-mêmes qui ont défini la forme du projet initié : les collaborateurs se sont sentis concernés et impliqués dans la décision. C’est je crois la clé de la réussite. Etre dans le doute et avoir le sentiment d’être surveillé ou que cette décision soit imposée serait prendre le risque que cela ne fonctionne pas.

C’est surtout le patron qu’il faut convaincre d’y aller : les premiers retours à sa proposition vont être forcément sceptiques : il faut aussi quasiment mettre les managers devant le fait accompli ! Mes managers sont venus me voir pour me dire que c’était impossible à mettre en place alors que les équipes avaient envie et ont su le faire. Je leur ai dit « essayons et on verra : si cela ne marche pas on modulera » : cela a été réalisé en trois mois !

Quelle est aujourd’hui votre réflexion et quelles sont vos actions concrètes mises en œuvre pour traiter l’impact du numérique sur le plan environnemental ?

Il est vrai que LDLC est directement concerné par ce sujet parce que c’est au cœur de notre métier. Nous avons besoin de vendre nos produits. Ceci dit, à terme le marché sera peut-être moins rentable, mais on peut imaginer que même avec des reports d’achat, cela ne fera pas disparaître la société !

Ceci dit le pouvoir est dans les mains des consommateurs : notre monde de surconsommation, d’obsolescence programmée peut tout à fait ralentir sans nous mettre en péril et l’usage du matériel peut être plus raisonné. Ne pas remplacer systématiquement par la dernière version, accepter de ne pas avoir le dernier modèle, est une piste sérieuse et responsable. Tout comme prendre conscience que l’accumulation de données oblige à avoir toujours de plus grosses machines qui tournent sans fin alors qu’on peut régulièrement nettoyer son système de données inutile.

Mais tout ceci demande un mouvement systémique et le pouvoir est du côté des individus !
Leur puissance est énorme, dès lors qu’il y aura un mouvement de fond, les choses évolueront et le usages se modifieront vers moins d’impact sur le plan environnemental.

En savoir + sur la semaine de quatre jour vécue chez LDLC

En 1996, armé de son courage et de ses idées, Laurent de la Clergerie  lance LDLC.com à Lyon. Nous sommes aux balbutiements du e-commerce… 25 années plus tard, LDLC.com est leader du e-commerce informatique et high-tech en France.

Depuis plusieurs années, il milite pour le bien-être en entreprise, un management plus libéré et le plaisir au travail. 2021 illustre cet engagement, les salariés de la société Groupe LDLC sont passés aux 32 heures, 4 jours travaillés.

Le Groupe LDLC compte désormais 16 enseignes dont 7 sites marchands, plus de 60 boutiques LDLC, près de 1000 personnes et représente un chiffre d’affaires de 684.9 millions d’euros.

 

Groupe LDLC

LDLC

interview a été réalisée par Coryne Nicq 

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