Libérer l’entreprise, ça marche

Comment une entreprise renaît de ses cendres en donnant le pouvoir à ses salariés : Alexandre Gérard, pdg de l’« entreprise libérée » Chrono Flex, raconte son expérience dans un tout nouveau livre.


Travaille-t-on mieux sans chef ? Grave question sur laquelle ont planché des armées de spécialistes des organisations. Chrono Flex, une entreprise de Saint-Herblain, près de Nantes, a tenté l’expérience, avec un succès certain, qu’Alexandre Gérard, son pdg, a racontée dans le livre L’aventure CHRONO Flex sur le chemin de l’Entreprise libérée.

Après la crise économique de 2008, le chiffre d’affaires de ce spécialiste des flexibles hydrauliques plonge de 22 à 14 millions d’euros. Il faut licencier une quarantaine d’employés. Une épreuve pour Alexandre Gérard, qui cherche à tout prix des solutions pour sauver l’entreprise.

Sa rencontre avec Jean-François Zobrist, fondateur de Favi, qui produit des boîtes de vitesse, agit comme un révélateur. Chez Favi, le contrôle des salariés a été supprimé pour libérer leur créativité. Séduit par cette idée, Alexandre Gérard va la répliquer chez Chrono Flex, avec l’aide d’Isaac Getz, professeur à l’ESCP Europe.

Les quatre valeurs de la libération

En 2011, l’équipe dirigeante enquête auprès des salariés, et leurs réponses, sont affichées dans la salle collective de l’entreprise, tiennent en quatre valeurs : la performance par le bonheur ; cultiver l’amour du client ; des équipes respectueuses et responsables ; un esprit d’ouverture et une ouverture d’esprit.

La pyramide managériale est inversée et le management intermédiaire, réduit. L’autocontrôle devient la règle, et les salariés montent en compétence. L’entreprise procède aussi à une réorganisation régionale en 13 puis 26 zones, au lieu de quatre grandes régions, sillonnées par une dizaine de commerciaux itinérants.

Les dirigeants apprennent à renoncer aux attributs du pouvoir, après un coaching intensif. Le comité de direction s’ouvre à tous les salariés, qui ont aussi accès à tous les chiffres, y compris les marges.

Égalité intrinsèque entre salariés

Bien sûr, cette aventure ne s’est pas faite sans difficultés. Tous les salariés n’ont pas forcément envie d’êtres libérés, et la direction n’a pas cherché à les convaincre, mais plutôt à créer les conditions de leur « libération ». « Cette libération se base sur trois ingrédients : un sentiment d’égalité intrinsèque entre tous les employés ; la possibilité offerte à chacun de se réaliser et de s’épanouir ; l’autonomie accordée aux salariés. »

Alexandre Gérard a vu son job de pdg complètement transformé. Mais attention : « Une entreprise libérée n’est pas sans managers ni sans patron », prévient-il, qui considère les managers comme des sortes de jardiniers, avec plusieurs missions fondamentales : « remettre la vision au cœur de l’action, car elle a tendance à s’évaporer ; maintenir les conditions qui vont permettre l’engagement ; conserver l’esprit de liberté, qui est toujours très fragile, et prévenir le rétablissement de la hiérarchie ; garantir la ligne de flottaison. »

Aujourd’hui, il passe un tiers de son temps chez Chrono Flex, un autre tiers en conférences pour partager son expérience, et le dernier tiers à faire de l’accompagnement. « Dans les PME comme dans les grands groupes du CAC40, ce type de transformation est devenu un sujet majeur. Je fais le pari que dans quatre ans, le monde de l’entreprise aura basculé dans l’entreprise libérée. »

Pour Chrono Flex en tout cas, le résultat a été au rendez-vous : dès la première année, le chiffre d’affaires a augmenté de 15 %, le taux d’absentéisme a baissé, et les embauches ont repris.

Et si c’était à refaire ? Un jour qu’il réunissait ses chefs d’équipe, Alexandre Gérard leur a posé la question. Les réponses l’ont rassuré : « ‘Ça n’a pas été simple, c’était même très difficile, mais jamais on ne reviendra en arrière.’ Leur unanimité m’a fait chaud au cœur. »

« Libérer une entreprise, c’est un saut quantique, conclut Alexandre Gérard. Dans les organisations pyramidales, on part du principe que les gens n’aiment pas travailler et que le manager est là pour leur dire ce qu’il faut faire, en maniant la carotte et le bâton. Dans une organisation comme la nôtre, on pense que le travail est naturel au même titre que le repos et le loisir. » Et de résumer toute sa démarche en une jolie formule : « Il s’agit de passer du pouvoir du père au pouvoir des pairs. »

L’aventure CHRONO Flex sur le chemin de l’Entreprise libérée, d’Alexandre Gérard et Audrey Valtot, Ed. Ceuilleuse d’histoires, 2016, 220 p.


Pascal de Rauglaudre

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Je m'inscris à la newsletter