Les Délices de l’Ogresse : l’Entreprise est le vecteur du changement

Après 16 années comme documentariste à exposer les impacts de la guerre sur les peuples du monde entier, Ranwa Stephan décide aujourd'hui de montrer le bonheur qu'offre sa cuisine artisanale, bio et équitable.

 Vous étiez réalisatrice en zone de guerre durant 16 années, comment êtes-vous passée de documentariste à créatrice d’une conserverie équitable et bio?

Le virage semble à 180° mais en réalité, il est cohérent et touche à l’engagement intime. Quand j’ai travaillé en zone de guerre, je croyais, naïvement, que j’avais une mission. J’essayais de toucher du doigt la manière dont la grande Histoire transforme la petite histoire des gens ordinaires, de mettre à jour les injustices et la résilience de ceux qui les subissent. Je pensais contribuer à ma petite échelle à changer le monde.

Et il y a eu mon dernier voyage : 3 mois en Syrie rebelle en 2014. Un voyage très intense. Je suivais un groupe de jeunes révolutionnaires laïcs qui avaient organisé un festival d’art de rue sous la double menace de l’Etat et de Daech. C’est un film qui n’a jamais vu le jour. A la télévision française, on voulait voir des grands méchants barbus, les laïcs n’intéressaient personne. J’ai compris que pour vraiment agir, il fallait changer de voie. L’alimentation s’est imposée à la fois parce que ça correspondait à une passion personnelle et aussi parce qu’aujourd’hui, elle est un vrai levier d’amélioration de notre système. Elle touche tous les domaines qu’il faut urgemment adresser : l’agriculture comme moyen de lutter contre la dégradation écologique, l’équité dans les rapports économiques, la santé des gens que l’on nourrit, etc. L’entreprise est aujourd’hui le vecteur du changement.

Comment vos voyages ont-ils influencé vos recettes ?

Les épices m’ont toujours passionnée. Même au fin fond de la montagne pachtoune en Afghanistan, je trouvais le marchand d’épices du coin et je dialoguais avec lui alors que nous n’avions aucune langue en commun. J’ai découvert énormément comme ça. Il y a autre chose aussi. Dans mon ancien métier, le plus difficile, ce n’est pas ce que l’on vit sur place mais le retour. Et pour moi, la cuisine a toujours été le pilier psychologique qui me permettait de traverser ces périodes-là, un moyen de passer du malheur au plaisir des 5 sens, de la mort à la vie. Je passais à chaque fois une semaine à expérimenter des recettes avec les épices que je venais de ramener.

En quoi ce projet répond à une démarche bio et équitable ?

Nos produits sont à 100% bios et nous refusons toute matière première non bio qui serait pourtant autorisée, comme la pectine pour les confitures. Mais le bio, c’est loin d’être suffisant. Il y a bien sûr la dimension équitable. Pour le sucre, le chocolat et certaines épices, nous sommes très attentifs à notre sourcing et ne nous contentons pas d’un label équitable. Dans notre collaboration en direct avec des agriculteurs, nous ne discutons pas leur prix car nous estimons qu’il est crucial aujourd’hui qu’ils soient correctement rémunérés pour leur travail. Nous cherchons à aller bien plus loin que ça. Dans la gestion des déchets par exemple. Nous nous inscrivons dans une forte démarche d’économie circulaire, en compostant nos déchets végétaux pour les donner à une ferme située à 2kms de l’atelier. Nous leur donnons également tous les cageots et les seaux de nos matières premières pour qu’ils soient réutilisés. Cette démarche zéro déchet, nous l’avons également dans notre sourcing. Nous valorisons les tomates vertes de fin de saison qui sont normalement jetées par les agriculteurs pour fabriquer notre ketchup. Pour les fruits type abricot, fraise, mirabelle, nous ne travaillons que des fruits français d’une part, et d’autre part des fruits trop mûrs qui finiraient à la poubelle autrement. Enfin, nous favorisons une origine locale, même plus chère, quand cela est possible.

Comment sélectionnez-vous les partenaires avec qui vous collaborez et en quoi ces engagements vous permettent une cohésion d’équipe ?

Il nous faudra sans doute un jour avoir un protocole de sélection avec des critères concrets, mais pour l’instant, nous fonctionnons surtout sur la rencontre autour de valeurs communes. En d’autres termes, c’est une entente entre humains, un respect mutuel et le partage de cette même envie de faire autrement. Cette façon de faire, je l’applique aussi au sein de l’équipe. Et je crois que c’est ça qui assure notre cohésion. Ça ne tient pas au discours ou à la manipulation de concept ou à une raison d’être proclamée, c’est beaucoup plus concret et quotidien. Je suis encore en apprentissage de ce point de vue-là et c’est encore très informel, mais j’aspire à un mode de gouvernance interne plus inclusif, moins hiérarchisé, le plus bienveillant possible. Et c’est la force du lien que nous avons, chacun d’entre nous à sa manière, avec les Délices de l’Ogresse.

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