L’apparition du prosommateur ébranle le capitalisme

L’Internet des objets et les communaux collaboratifs font de chacun d’entre nous à la fois un consommateur et un producteur qui met à mal les fondements du capitalisme.


Après « La fin du travail » et celle de la propriété dans « L’âge de l’accès », l’économiste et gourou américain Jeremy Rifkin prédit dans son dernier opus « La nouvelle société du coût marginal zéro » rien moins que la fin du capitalisme.
Le triptyque « moyen de communication/source d’énergie/mécanisme logistique » qui selon lui est à la base de tout système d’infrastructure, a encore (légèrement) changé de visage depuis « La troisième révolution industrielle ». Dans ce best seller paru en 2012, Rifkin décrivait la convergence de l’Internet des communications, l’Internet de l’énergie et l’Internet de la logistique en un Internet des objets permettant la combinaison des énergies renouvelables et de la communication en réseaux dématérialisés pour une meilleure efficacité énergétique et la productivité des territoires. Cette troisième révolution fait suite à celles nées de l’alliance de la vapeur et de l’imprimerie au XIXe siècle puis du moteur à explosion et de la télétransmission au XXe siècle.



Le prosommateur au centre du jeu

Mais cette fois, avec la résurgence des « communaux collaboratifs » (la forme d’autogestion institutionnalisée la plus ancienne au monde, déjà présente au Moyen-Age, rappelle Rifkin), on assiste selon lui à la naissance du premier système économique depuis l’apparition du socialisme et du capitalisme au début du XIXème siècle. C’est dire si l’heure est grave. « Le capitalisme ne disparaîtra pas du jour au lendemain, nuance-t-il néanmoins. Mais il devra partager la scène avec l’économie collaborative et ne sera plus le modèle dominant. » « Le capital social remplacera le marché capitaliste », annonce Rifkin, qui rappelle que l’économie sociale emploie déjà 13% de la population active en France.

Au centre de ce nouveau monde, le prosommateur. En l’occurrence, n’importe quel habitant de la planète ou presque, désormais capable de produire de la musique, de l’information, de l’énergie et même des objets grâce aux imprimantes 3D, autant que d’en consommer. Grâce à l’Internet des objets et à cette technologie en pleine démocratisation, « La barrière qui paraissait infranchissable entre les biens virtuels et matériels s’est effondrée », martèle-t-il. « Dans 10 ans, on saura même fabriquer des voitures électriques avec des imprimantes 3D, prédit-il, rappelant qu’un premier véhicule a vu le jour il y a quelques semaines. Et chaque gamin ira à l’école avec un smartphone dans une poche et une imprimante 3D dans l’autre. »


Valeur partageable plutôt que valeur d’échange

Cette nouvelle donne s’épanouit dans « la société du coût marginal zéro ». Si Jeremy Rifkin a insisté après de son éditeur pour imposer ce titre quelque peu barbare aux yeux du grand public, c’est parce qu’il souhaite « que cette notion de coût marginal zéro soit dans les esprits de toute la nouvelle génération ». Et cette société dans laquelle, selon lui, le coût marginal de chaque produit ou service s’approche de zéro, n’est rien d’autre que le résultat de l’extrême efficacité du capitalisme, qui incite les acteurs à accroître encore et toujours leur productivité grâce en particulier à des progrès technologiques. Le capitalisme serait in fine victime de son succès…

Le prosommateur ne se contente pas de produire lui-même une grande partie de ce qu’il devait naguère acquérir auprès des grandes entreprises privées et intégrées verticalement pour tirer leur épingle du jeu dans une économie capitaliste grâce aux économies d’échelle et à la baisse du coût marginal.

Il partage à la fois ses créations mais aussi sa voiture, son logement et d’autres biens durables, et la « valeur partageable » supplante peu à peu la valeur d’échange sur le marché. Cerise sur le gâteau, ce prosommateur serait motivé par les intérêts collaboratifs et le lien social, plus que par son intérêt personnel et la perspective d’un gain matériel, une condition sine qua non de la pérennité des communaux collaboratifs.



35 ans pour passer à la 3ème révolution industrielle

Mais d’autres acteurs ne sont pas si désintéressés. Ainsi des opérateurs du câble ou de la téléphonie, à qui il reviendra d’équiper de milliards de milliards de capteurs toutes les infrastructures du monde pour faire de l’Internet des objets une réalité, et d’y récupérer autant de données (le fameux big data). « Cela fournira une image totalement transparente de ce qui se passe dans l’économie à chaque instant et partout dans le monde », reconnaît Jeremy Rifkin.

Mais ce sont surtout les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon), et l’exploitation qu’ils pourraient faire de ce big data, dont il faudra se prémunir afin de préserver la neutralité de l’Internet. « Mais à partir du moment où un Google sera totalement incontournable, il deviendra l’équivalent d’un bien public, sera régulé et devra se conformer à ce que veulent les consommateurs », veut croire Rifkin.

Que deviennent les entreprises de la vieille économie, multinationales, PME ou start-up, dans ce nouveau monde ? « Elles doivent pendant un temps faire cohabiter deux portefeuilles d’activités », maintient Jeremy Rifkin. Elles ont selon lui deux générations devant elles pour opérer leur mue d’un modèle à l’autre. En effet, il faudra bien 35 ans pour que l’Internet des objets devienne réalité. Rendre le réseau électrique intelligent, transformer des autoroutes géantes de l’énergie en petites routes de campagne équipées de capteurs, voilà de quoi occuper la plupart des entreprises du CAC 40 et leurs salariés, à l’exclusion des pétroliers et du commerce de détail, dont Rifkin annonce que ce sera « le prochain pan de l’économie traditionnelle rayé de la carte. »

Quant au coût de ces développements, aucune inquiétude à avoir, selon lui, l’argent est là, il suffit de le récupérer là où il est inutile, voire contre-productif, notamment dans les subventions aux énergies fossiles. « 15% de ce qui est aujourd’hui gaspillé suffiraient pour établir l’Internet des objets ».

Enfin, Rifkin insiste sur l’enjeu écologique de sa vision. Cette société du coût marginal zéro, et tout ce qu’elle implique, est à ses yeux « notre seule chance de, peut-être, combattre assez rapidement le changement climatique. Il n’y a pas de plan B », assène-t-il.

La nouvelle société du coût marginal zéro
Editions Les liens qui libèrent



Crédit photo : Jenny Warburg


Dominique Pialot & Pascal de Rauglaudre

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