La philosophie pour comprendre les enjeux de l’économie et de l’entreprise

A l'ère d'un « grand mouvement de démission » post-Covid, Anne-Sophie MOREAU nous explique comment Philonomist propose un regard nouveau et critique sur l'économie, pour les entreprises et les salariés.

Philonomist est un média indépendant en ligne dédié aux enjeux qui bouleversent l’entreprise et l’économie. Mais vous abordez ces sujets sous des angles nouveaux, nourris par la philosophie et les sciences humaines. Pourquoi est-il essentiel aujourd’hui de comprendre l’économie grâce à la philosophie ?

Anne-Sophie MOREAU : Longtemps, l’économie fut un but en soi. Elle était, comme dirait Karl Polanyi, « désencastrée », c’est-à-dire qu’on avait abandonné l’idée de subordonner l’activité économique à une fin supérieure. Aujourd’hui, il n’y a plus cette indépendance du monde des affaires : on admet enfin que l’économie puisse servir autre chose qu’elle-même, et passe après ce qu’on juge essentiel à la société, comme la santé (avec la Covid), la souveraineté (avec la guerre en Ukraine) ou encore le climat.

Reste à savoir quelle priorité accorder à ces différents objectifs pour atteindre une véritable prospérité – le Souverain Bien, dirait Aristote. C’est là que la philosophie entre en jeu : elle pose la question du pourquoi, et non plus du comment. Quelle société, quel avenir voulons-nous ?

Vous avez publié cet été dans votre newsletter « Une semaine, un philosophe » sur les grands thèmes liés au travail et à l’engagement. Comment abordez-vous ces thèmes qui bousculent le monde du travail et qui interpellent les entreprises sur leur raison d’être ?

Les entreprises sont aujourd’hui bouleversées par un mouvement de « grande démission », sans doute surestimé, mais qui cache la partie immergée de l’iceberg, à savoir le désengagement croissant des salariés. Nombreux sont ceux qui estiment aujourd’hui que leur job n’est pas à la hauteur de leurs attentes : leur travail les épuise au lieu de leur permettre de s’épanouir dans une existence qu’ils savent courte ; il participe à détruire la planète au lieu de la sauver ; etc.

Dans ce contexte, Philonomist offre une prise de distance critique et bienveillante pour y voir plus clair ; à la fois pour les employeurs qui doivent d’urgence revoir leur copie, et pour les salariés qui cherchent à trouver leur voie dans un monde complexe. Ce monde où les formes possibles d’un engagement responsable et mature sont multiples et ne sauraient se réduire à la « désertion » vantée sur les réseaux sociaux.

Quels sont les sujets qui plaisent le plus à vos lecteurs ?

Les sujets qui mêlent considérations éthiques et interrogations intimes. Il est délicat de trouver sa place dans un monde qui va mal, or c’est tout l’enjeu pour les philosophes : non pas de proposer des recettes magiques pour simuler un bonheur factice (réservons cela au développement personnel), mais d’esquisser une attitude qui vise l’eudaimonia – un bonheur ancré dans la cité.

Philonomist est partenaire du Parlement des Entrepreneurs d’avenir, qui se déroulera en novembre prochain, à l’UNESCO. Quelle place souhaitez-vous pour la philosophie dans ce monde en transition ?

L’un des risques principaux aujourd’hui, c’est d’étouffer le questionnement au profit d’un militantisme caricatural. Les enjeux environnementaux sont colossaux, or ce n’est pas par des discours de morale que les gens changeront : il faut non pas ânonner des « oukases », mais poser les questions qui fâchent dans un cadre démocratique. Quelle justice sociale voulons-nous défendre à l’heure de la transition énergétique ? Qu’est-ce qu’une sobriété heureuse, et non pas subie ? L’écologie est une affaire de compétences, mais aussi de convictions, et surtout de discernement.

La philosophie comme art du questionnement devrait à mon sens s’imposer naturellement dans un contexte où nous sommes contraints de faire table rase du passé, d’inventer le monde qui vient et de nous interroger sur nos désirs les plus profonds – pour le pire mais aussi pour le meilleur.

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